L’Homme est tout à la fois le chemin et l’obstacle, et chacun porte en lui ces deux visages, ces deux faces d’une même réalité, ces deux voies d’un même présage – et la voie ensoleillée, et les ténèbres, et la nuit. Les potentialités sont infinies.
« Un moment à vide, sans personne, sans même vous : un moment qui n’appartient à aucune pensée, à aucune humeur. »
« On a fait de Dieu une chose si grave qu’à chaque fois qu’il me vient d’en parler, c’est sous ses traits de moineau, son déguisement de brindille ou de tilleul, sa candeur d’enfant. »
« Retour à cette tristesse insondable, à ce chagrin inaltérable, ce creux béant dans l’étoffe de la vie. Un instant de flottement et il s’invite, physiquement, jusque dans les cellules de mon corps. »
Seigneur, je me suis aujourd’hui rendu dans ta demeure. Sur le chemin de l’Eglise, il y avait des myosotis en fleurs – et ton sourire caché derrière leur bleu lapis, tapi sous leurs âmes Sœurs. Tu es partout où l’on ne t’attend pas : c’est un peu de cette espièglerie, je crois, qui fait glousser les pivoines et sourire les roseaux. Le monde est un cadeau dans lequel Tu es partout caché, comme un secret d’enfant mal gardé qui brille dans l’œil de la vie et s’enfuit en riant. Tu es en moi, je suis en joie – tout le reste s’en est allé, s’est évanoui. Je ne suis habité que par Toi.
C’est lorsque l’on vient lui faire de l’ombre que le soleil nous envoûte le plus. Dans le rai de lumière d’une percée de nuages, dans sa clarté filtrée par le brouillard du matin, ou dans sa pluie chaleureuse au travers des feuilles de peuplier, c’est tant le soleil que le nuage, la brume et le peuplier que nous aimons.
Le réel qui fait acte, qui nous touche et laisse son empreinte indélébile sur nos cœurs endoloris, c’est toujours je crois un peu de cette faiblesse, un peu de cette négociation entre des forces contrastées. Les moments où Dieu s’efface un peu sont des instants de grâce, qui donnent tout son sens à sa présence.
La vie est ponctuée par son absence quotidienne : être avec Dieu à chaque instant, c’est lui servir de tombeau.
« Délicatement, avec ce timbre un peu fragile qui caractérise tes moments de splendeur et de grâce, tu viens couvrir le tintamarre de mes idées noires par ton silence chantant. »
Cela fait bientôt quatre ans que nous nous sommes séparés. Le temps a pansé les plaies en les badigeonnant d’oubli. Les plaies ont cicatrisé, et je ne sais plus ce que tu es. Pourtant, un faux mouvement suffit à réveiller ce qui dort.
La nuit, tu me rends parfois visite. Le vide prend alors tes formes, ta silhouette, ta frimousse d’aurore. Et déjà, au jour levé, il ne reste rien de cette présence dématérialisée. L’impermanence et ses baisers.
Certains creux ne se remplissent pas – tout finit toujours par les traverser. Celui qui fut par ton départ révélé est l’un de ceux-là. Un déchirement, une absence de chaque instant. Où est Dieu lorsqu’il n’y séjourne pas, au béant – au néant ?
« Je jette dans le noir de l’existence une main hésitante pour tenter de me saisir d’un peu de ce bonheur dont tu as le secret. »
À l’horizon personne pas même toi. Un désert d’ombres et de magnolias. Un peu de lumière qui dépoussière les fantômes laissés là, sur le pas de la porte, à t’attendre. Pas de lilas ou de jasmins, juste des magnolias ; et des cyclamens par centaine, des cycles et des hymens, un peu de sang su – ce que l’on voit quand on s’en va.
Se magner là, vite se dépêcher de rester où l’on est, de ne surtout pas bouger – il y a urgence.
Aujourd’hui, le phare à lucioles me manque. Je ne sais plus regarder avec les yeux de l’enfant. C’est un mal passager, comme tout de la vie – alors j’attends. La tête enfouie, les bras ballants.
Que faire sinon prier ?
Les rares certitudes qu’il me reste sont faites de tout petits riens, des zestes d’une vérité simple et fragile qui n’a pas appris le mensonge. Que la prière d’un bougainvilliers en fleurs vaut tous nos monastères et tous nos dévots. Qu’avec un brin de science on peut tout expliquer de la vie sans jamais ne rien y comprendre. Que ton sourire est l’une de ces rares choses qui m’ait été donnée comme ça, par amour. Pas d’équation ou de calcul dans cette risette-là.
« Sans toi », ça n’existe pas. Tout est fait de ton regard bleu ciel, de ta frimousse-soleil et de tes cils en mistral. Plus de nuits, d’ennemis ou de proies – rien que toi, tout de toi, et de la lumière en cascade sur tes lèvres d’opale.
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