Protéger et détruire la vie, c’est du pareil au même. Il n’y a rien à protéger lorsqu’il n’y a rien à perdre.
Cela fait longtemps que, lorsque je prends les transports, mon monde extérieur est peuplé de zombies au regard éteint. La situation actuelle n’arrange rien, ne fait que renforcer cette tendance-là. Heureusement, le monde est aussi peuplé d’enfants : cris, pleurs, joies, colères suffisent à déranger, à réveiller, à nous garder de l’oubli. La vie pétille – et avec elle, l’amour en mouvement.
La question de savoir si le virus a été créé en laboratoire ou s’il est spontanément né des couches de Dame Nature n’en est pas une. Ce qui importe, c’est ce qu’en tant que société, que collectif, l’homme a décidé d’en faire. Ce qu’il a décidé de nourrir avec cet événement, qu’il fut programmé ou non.
J’observe que le contrôle s’intensifie, et avec lui l’inertie molle de nos vies de chair. Les frontières nationales, locales et individuelles sont précieusement gardées, on ne les traverse plus sans laisser-passer. Le hors-frontières est vu comme un danger potentiel, comme un mal qui serait hors de contrôle et qu’il faudrait garder loin de nous, là-bas dans le noir. Le nationalisme, non-content de s’appuyer sur la différence culturelle – qui est en réalité richesse et complémentarité – s’appuie désormais également sur des raisons sanitaires, scientifiques et donc difficilement questionnables. Le territoire national quant à lui est segmenté, policé et mis à l’arrêt. Le mouvement spontané, celui qui s’accompagne de la joie simple de vivre, est proscrit et puni : nul ne peut bouger sans avoir au préalable préparé attestations et justificatifs. « Liberté », dans notre devise, fait place à « Sécurité ». C’est l’heure de la Grande Division, de la Grande Dissociation : on quadrille le territoire, on le sépare ; on quadrille les gens, on les sépare ; et on insère des barrières, sous formes de gestes, entre chacun et chacune. À force de s’entourer de ces gestes barrières, on vit dans une clôture confortable, avec suffisamment d’herbe pour brouter jusqu’à la tombée de la nuit, jusqu’au sommeil qui n’est qu’une continuation de nos jours endormis.
Je comprends le raisonnement derrière l’obligation de porter le masque en espace clos. Je ne le partage pas mais je le comprends. En revanche, le fait de porter le masque en extérieur, dans les rues désertes d’un Paris confiné, côtoie le surréalisme et la folie. « Je porte le masque donc je protège l’autre, donc je me protège à travers l’autre, et donc je protège ce que l’on a de plus précieux : la vie. » Mettons de côté les débats sur l’efficacité du masque, son impact pernicieux sur nos représentations mentales, et les idées qu’il renforce d’un « autre-danger » face à un « moi-vulnérable » à protéger. Qui veut-on protéger, de qui veut-on se protéger lorsqu’il n’y a personne sinon nous, lorsque l’espace qui nous sépare de l’autre est si grand que nous sommes seuls au monde – ou tout au plus reliés par écrans interposés, à des chimères et des rêves ?
La peur du regard de l’autre. La peur de déranger. La peur de l’amende. La peur du virus. Toutes nos prétendues « protections » ne nous rendent que plus vulnérables à un mal plus dangereux encore que ce dont ils sont sensés nous protéger : la peur. La peur qui s’infiltre partout, jusque dans nos cœurs froids et lourds ; la peur qui nous sépare de nous-mêmes, qui nous éloigne de tout ce que nous sommes – quelques étincelles de joie simple sur un désert de pensées.
Christian Bobin confie au silence cette phrase nue : « Ce qui fait événement, c’est ce qui est vivant, et ce qui est vivant, c’est ce qui ne se protège pas de sa perte. »
Se protéger de sa perte, placer au cœur de son existence et de ses préoccupations la protection – contre le mal, contre l’ombre, contre un virus, contre l’autre ou contre soi-même – c’est vivre dans la peur. Et en réalité, vivre dans la peur ce n’est pas vivre mais survivre. Je survis lorsque je me garde de tous les maux qui pourraient m’atteindre, lorsque je vis cloisonné par peur de ce qui se trouve là-bas, dans le noir, au-dehors des frontières que j’ai tracé autour de moi et dans lesquelles je me suis enfermé. Je survis lorsque je laisse mes choix être dictés par des chimères, par des suppositions et des craintes, lorsque je m’isole de l’instant présent par illusion de mieux contrôler le suivant. Je survis lorsque je contrôle les influx envoyés à moi par la vie, lorsque je trie ce que l’on m’offre pour être certain de ne pas être dérangé dans le confort de misère que je me suis construit. Protéger et détruire la vie, c’est du pareil au même. Il n’y a rien à protéger lorsqu’il n’y a rien à perdre.
Vivre, c’est danser avec les événements offerts à nous par la vie, c’est embrasser tout ce qui n’est pas nous mais qui est nous tout de même, c’est chanter tout de l’existence car tout est en nous. La mort, la souffrance et la tristesse font tout autant partie de la vie que la joie, l’amour et la paix. Vivre, c’est tout accepter, ne se garder de rien et tout explorer, tout traverser jusqu’à la toute fin – car en réalité il n’y a pas de fin, pas plus qu’il n’y a de début ; car à la vérité tout est déjà là à qui sait le voir.
« Ce qui est vivant, c’est ce qui ne se protège pas de sa perte », tu disais. Alors vivons pleinement, dansons à la vie comme à la mort, dansons à l’existence qui contient tout et n’exclut rien.
En présence, soyons là, soyons uns.
Tout est déjà là.
Merci encore belle âme de ce que tu réveilles en nous par tes mots.
Je suis pleine de gratitude que tu m’aies choisie pour mère.
Continue de servir le Vivant si bien.
Avec tout mon amour
Merci ! ♥